La pétition des marins

A son arrivée, le Père Bernard Carabeux de l’ordre des Prémontrés, parce qu’il était religieux proscrit (par l’application des décrets ministériels de la Troisième République, s’appuyant sur les lois révolutionnaires encore en vigueur), n’était pas autorisé à utiliser le presbytère qui appartenait à la ville.

Il avait un pauvre grabat dans la sacristie et prenait ses repas souvent debout sous le porche de la chapelle. Cet inconfort qui dura pendant des années, choquait profondément ses paroissiens.

Une pétition fut lancée par les marins Fouché et Le Pelletier pour faire cesser cette situation indigne de l’accueil traditionnel et bienveillant de notre ville.

A messieurs les conseillers municipaux,
Les soussignés marins et autres habitants de la ville de Honfleur et des environs s’intéressant au bien-être de la population de ladite ville.

Considérant que si la chapelle de Notre Dame de Grâce est la propriété de ladite ville de Honfleur elle est aussi la chapelle des marins dans l’intérêt desquels elle a été originairement rendue au culte.

Considérant que depuis plusieurs années la chapelle est desservie par l’abbé Carabeux qui a su par son caractère conciliant acquérir l’estime et la reconnaissance de tous, que chaque année le jour de la fête des marins, le lundi de la Pentecôte et chaque jour de l’année, ce digne ecclésiastique a toujours compté au nombre de ses devoirs de se mettre avec une humilité qui lui fait le plus grand honneur au service empressé de nos marins et de leurs familles.

Considérant que les services qu’il a rendu au pèlerinage justement renommé de Notre Dame de Grâce et par voie de conséquence aux intérêts matériels de la ville de Honfleur mérite bien quelque reconnaissance, que si Monseigneur l’évêque en vue de ses services songeait jamais à lui confier un poste plus élevé, nos marins s’empresseraient de supplier Monseigneur de maintenir à son poste le vénérable chapelain qui a fait ses preuves et acquis droit de cité

Que dans de pareilles circonstances les conseillers municipaux en s’inspirant des besoins réels de la ville voudront bien s’associer à cette pensée et rendre au chapelain la jouissance d’un presbytère inhabité qui se détériore et qui lui est indispensable pour l’exercice régulier du culte et la sécurité de la chapelle, ils donneront ainsi une légitime satisfaction au vœu de nos populations en sauvegardant tout à la fois les intérêts moraux et religieux de nos nombreux pèlerins et de nos courageux marins en vue desquels la chapelle de grâce a été rendue au culte.

C’est donc avec une entière confiance que nous nous adressons au conseil municipal par un accord unanime d’assurer cette œuvre de justice et d’équité.

Honfleur le 18 mai 1891.

Suivent de très nombreuses signatures qui permirent enfin que le frère prémontré puisse, après 11 années de « camping », avoir une vie décente.